Ce fut la faim qui me réveilla.
D’autres avaient le chant du coq, les aboiements du chien, les miaulements d'un chat... Moi, j’avais la FAIM. Persuadée de n’avoir plus que quelques toutes petites heures de sommeil à dormir, je me lève en sursautant, en tâtant du bout des doigts le mur à la recherche de ce putain d’interrupteur qui à priori, aime bien jouer à cache-cache. Quelque minutes plus tard, la lumière inonda ma chambre, et tout en étouffant mon bâillement du diable, je pousse le rideau de la baie vitrée en face de moi, découvrant alors à ma grande surprise qu’il faisait encore nuit. Forcément, à trois ou quatre heures du matin, c’est très normal. De toute façon, moi j'aime pas la pas-normalité et je suis biologiquement conçue pour me réveiller aux heures les moins adaptées. Et la preuve irréfutable de mon raisonnement est : mon horloge en forme de cochon qui égrène lentement les secondes et les minutes, en me revoyant l’heure avec un sourire diabolique dégoulinant de sarcasme et de cynisme.
PUTAIN. Il n'est QUE onze heures et demi !
C'est magnifique, maintenant, tout mon splendide raisonnement se barre en couille. Et je ne sais pas pourquoi mais je sens que je vais me faire taper parce que... Parce que je viens d'allumer la lumière alors que je ne suis pas seule dans cette chambre. Et à moins que je ne me trompe, April se réveille facilement.. Alors, étouffant un nouveau bâillement, je me glisse rapidement hors de la chambre.

Brrraa…
Un vent glacial me parcours, je frissonne : les couloirs ne sont pas outrageusement chauffés, comme ma chambre qui ressemble vraiment à un sauna. Et forcément, quand on passe de la Guadeloupe à la Sibérie...
Je plonge mes doigts frigorifiés dans les petites poches en soie de ma robe de chambre, et me mets à explorer les alentours. Ici, à la Wonderall Academy, on est plus d'une centaine à y vivre 24h/24, il ne faut donc pas s’inquiéter ; à part les salles de cours et toussa, il y a forcément plusieurs belles et grandes cuisines. Néanmoins, à défaut d’en trouver, j’aurais quand même explosé un distributeur de BONBOOOOONS pour les engloutir comme une lionne affamée.
Avec la grâce de Dexter, l’élégance d'un éléphant en tutu et la discrétion d'un mammouth des neiges, je me faufile dans des couloirs qui me sont en fait totalement inconnus – du moins c'est mon impression, puisque je suis à moitié endormie - Alors je gambade joyeusement, je dérive dans les eaux tièdes de ma royale folie, j'improvise des danses, je raconte ma vie aux tableaux, je chevauche les rampes d'escaliers, je bondis sur les petites fissures du sole et.. J’erre donc comme une joyeuse âme et… Les hurlements de mon ventre se faisant de plus en plus bruyants. Avec une certaine ironie, je songe qu’au fait que dans les films d’horreur, l'apparition des monstres sont toujours précédés d’un bruit quelconque qui devient angoissant. Ben… Moi, je m'annonce avec un royal gargouillement.
C'est so Glam’ !
D'ailleurs, je suis tellement glam que je vais certainement me faire élire miss Wonderall du moi, avec mes futures cuisses de poulet mangés à mains nues de onze heures et demi, et mon mystique karaoké de bruits organiques.

Quoiqu’il en soit, prendre mon courage à deux mains, me transformer en une louve super glam, courageuse et solitaire ne suffisent pas pour me téléporter dans les cuisines. D’ailleurs je sais tellement pas comment est-ce que je vais faire pour trouver les cuisines que je me dis qu'en fait, si je croisais un insomniaque, là, maintenant, bah je l'enroulerais dans un tapis en le prenant pour une crêpe… !

Ah, et je ne vous dis pas la surprise que j’ai eu quand je suis arrivée dans cette putain de salle à manger. C’est pas les cuisines, oui… Mais elles doivent quand même pas être loin de cette salle. Logiquement.
...Perdue dans une cognition délabrée, je finis par me placer au milieu de la salle, me mettant debout sur une table rectangulaire, patientant d’une manière presque solennelle, expression sauvage, déterminée, dingue et féline gravée sur mon visage.

...J'entends du bruit.
Non ce n'est pas mon ventre. .
Je surprends un mouvement dans l’ombre d'un coin et, faisant volte-face, les points serrés et les paupières fiévreusement closes, je me jette, éperdue, sur le sol, pers le peu de Quotient Intellectuel qu’il me reste puis je déclenche une apocalypse sonore :

SMOOTHIE ♫

« HAAUT LES MAINS, PEAU DE LAPIN ! »

Et puis, bah, comme je dis toujours, quitte à déranger un psychopathe, autant lui demander où trouver les haches et le couteaux, hein, alors toujours sans bien distinguer l’ombre-à-la-forme-bizarre, je continue :

SMOOTHIE ♫

« Hum, qui que tu sois, dis-moi, t'as d'la bouffe sur toi ? »

…. Non, en réalité, j’avais carrément une furieuse envie de prendre un lance-pierre et de jouer à la guerrière, balançant des missiles partout, et poussant des glapissements de mâle bourré, pour lui voler de la nourriture, au lieu de lui poser la question aussi poliment. Oui, j’aurais aimé jouer à la sauvageonne, une plume dans les cheveux, prendre un air méfiant, et viser la personne-inconnue d’une fronde, tout en sachant pertinemment que j’allais viser un carreau de la fenêtre et que la pierre passerait à dix mètres de la cible. Mais... De toute manière, je n’avais pas le matériel nécessaire pour jouer à Tarzan, puisqu’il me fallait une fronde. Pas un arc, mais une fronde, une fronde. UNE FRONDE. Et puisque j’étais aussi douée pour le tir que pour les cours, je préférais demander gentiment de la bouffe et attendre.

Lassée. Énervée. Crevée. Fatiguée. Voilà comment je me sens. C'est maintenant que je me dis que j'aurais mieux fait de jamais quitter mon lit. D'ailleurs, je pense que je ferais bien d'y retourner, là. Je vais retourner dans ma jolie petite piaule, et j'y resterais jusqu'à une période encore indéterminée. Voilà.
Ouais mais non, j'ai faim..
Tss...J'aurais aussi mieux fais de ne pas avoir faim, mais c'est plus fort que moi, comme je l’ai dis, je suis biologiquement conçue pour avoir la dalle aux heures les moins adaptées. D'ailleurs, non en fait, en ce moment, j'ai envie d'une assiette de pâtes à la bolognaise, ou d'une cuisse de poulet à mordiller en m’engraissant les doigts. Je suis une fille, et pourtant je suis loin de manger équilibré, léger ou quel que soit le type de repas stéréotypé que la plupart des adultes imaginent. Moi, le midi, je mange du chocolat au lait fondu sur du pain beurré, au petit dej' je me fais une soupe ou un steak d'autruche, et visiblement, à 12 heures et des brouettes de la nouit, j'aime m'envoyer un poulet dans l’œsophage. Ha-hin. Et le pire, c’est que je suis capable de me rendormir juste après sans problème, sans éprouver la moindre sensation d’oppression.

Je re-balaye la pièce du regard et puis PAF. Un schtroumpf avec des cornes apparaît. Euh. Ok. Il s’approche rapidement de moi et me choppe, prêt à me… À me.. Attendez, il était sérieux quand il parlait de se servir sur ma carotide ? C’est une blague c’est ça ? Je le repousse rapidement. Ouais c’est une blague. Je tâte sa joue droite du bout des doigts pour voir si c’est réel.
Ok… Bon… Halloween c’est déjà fini hein.

Bref. Après avoir fait comprendre à ce taré – en le lorgnant assez bizarrement - que dans sa réplique, y avait quelque chose qui clochait, puisqu'il pourrait jamais m'avoir, MOI, ze star, je soupire. D’un grand soupire bien long, à s'en fendre l'âme. Et puis, tout en posant mes mains sur les hanches, en levant un peu la tête pour le regarder de haut, avec un regard mi froncé mi blasé je me mets à rigoler comme une dingue. Ce schtroumpf est con. Il est con. C'est un pure connard. Oui, car un vrai con se croit plus intelligent que celui qui ne sait rien comme moi. Donc cette « espèce » humaine ayant des problèmes d'intelligence N'EST PAAAAS celui qui a compris plein de choses que beaucoup de personnes ne comprennent pas, 'comprenez ?

Rolala.. Je le savais. Je le savais, moi, que j’allais tomber sur un psychopathe ! Et je le savais, MOI, que si je lui demandais où se trouvent les haches et les couteaux que j’allais m’en prendre plein dans la gueule… Bon c’est pas tout mais là, s’il n’a rien à se mettre sous la dent, il ne m’intéresse pas. Je bondis en arrière donc et tâte de nouveau le mur effrité à la recherche d'un passage secret haha, puis, à ma grande surprise, je remarque que près de l’ampoule à nue fixée au plafond, il y a un petit hublot ouvert, avec un petit bout de pain posé à côté, sur le rebord.
C’est sûrement un gentil monsieur qui a utilisé la lévitation pour nourrir les petits oiseaux… Mais là, c’est moi l’oiseau. Moi avoir très faim. Voir vouloir maaaanger.

Je m'empresse donc d’empiler toutes les chaises pour pouvoir en faire une belle et grande pyramide. Et puis BAM. Au moment où je prends mon courage à deux mains pour essayer de grimper dessus et d'atteindre le hublot, coup du destin ou grosse malchance : un grondement impérieux se fait entendre avec clarté. Un large sourire éclaira les traits enfantins de mon visage. Mon ventre m'avait encore trahit. ENCORE. Alors je perds l’équilibre. Puis tout s'effondre. Je me ramasse donc en beauté, encore. Je m’étale par terre tel un vulgaire paillasson.
Rooooh, fioote !

Perdant tout espoir, je me relève et bondis sur le côté encore plus agilement qu'une gazelle estropiée, et je pousse un hurlement strident et sur-aigu, secouant les mains comme une damnée. "Hurlement" n’est même pas un mot assez explicite pour décrire le cri divin que j’étais entrain de pousser. Je me mettais donc à courir dans tous les sens avec l’énergie du désespoir. Et mon désespoir était grand, oh oui très, très très grand.

Ma longue chevelure bleue tourbillonnant derrière moi, traçant un sillage dénué de couleur, trahissant mon passage éphémère. Je braillais littéralement en fixant le bout de pain, là-haut. Le schtroumpf, il pourrait pas se bouger le cul et m’aider, hein ?